Aperçu sur les règles de Babel (2)

Dans un précédent article sur le sujet, je vous parlais de façon très succincte du système de jeu de Babel et de sa façon de gérer les scènes les plus habituelles, qu’elles aient lieu chez nous, dans notre monde, ou bien au cœur d’un monde de livre qui, par nature, peut être d’une incroyable diversité.

Intéressons-nous maintenant, dans ce second article, à un sous-système spécifiquement dédié aux mondes de livres : l’Autorité.

Théoriquement, l’Autorité est le privilège de l’Auteur. Seul le créateur d’un monde imaginaire devait avoir les clefs permettant d’arpenter – mentalement – celui–ci, d’y revenir à volonté et instantanément et, surtout, d’y modifier ce que l’on souhaite. C’est là où réside tout le pouvoir de Biblionaute. Un Biblionaute est un individu qui est capable de devenir temporairement Auteur à la place de l’Auteur. Il peut se faire passer pour lui et ainsi entrer par effraction à l’intérieur d’un monde de livre qui devrait pourtant lui être interdit.

Dans l’absolu, les « réécritures à la volée » des mondes de livres visités sont libres et infinies mais, pour faciliter la prise en main de ce pouvoir par les joueurs, des réécritures usuelles sont proposées dans le livre de base pour servir de guide et d’inspiration aux Biblionautes. Mettons-en une en exemple :

Dans le tiroir du haut

Effet : il est improbable que l’Auteur ait prévu dans ses notes et brouillons préparatoires la totalité des objets usuels qui entourent quotidiennement les personnages du monde de livre. Tout cela reste dans le vaste domaine du non-écrit. Or, le pouvoir des Biblionautes est aussi d’expliciter ce non-écrit. À leur avantage, si possible. Alors, pourquoi cet Imaginé ne posséderait-il pas un flingue qu’il cache dans ce tiroir ? Ou bien un double de ses clefs dans le garage ? Etc. En définitive, le PJ qui exerce son pouvoir d’Autorité peut ajouter au récit n’importe quel objet pour peu que le MJ juge cohérent avec le monde de livre qu’un tel objet puisse se trouver en effet là (contre–exemple : non, Oui–Oui ne cache pas de flingue dans sa table de nuit).

Pour la règle qui gère l’essentiel de cette « magie » Babelienne, une influence s’est très vite imposée à moi. Puisqu’il s’agissait de donner aux joueurs un très grand pouvoir, quasiment celui d’un dieu en fait, en tout cas de l’auteur donc du créateur du monde, j’ai tout de suite pensé à un sous-système qui m’a toujours fasciné : les demandes d’intervention divine dans Runequest.

Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit en substance pour un adorateur engagé dans un culte de pouvoir demander l’aide de son dieu en guise d’ultime recours. Celui-ci peut envoyer quelqu’un ou quelque chose pour vous sauver la mise – littéralement, un deux ex machina –  … si l’envie lui en prend. Pour déterminer cette incertitude qui relève des mystères divins, le joueur doit jeter un D100 sous sa caractéristique Pouvoir qui, comme pour les autres, se situe quelques part entre 1 et 18. Comme on peut le voir, des chances infimes mais, après tout, on ne demande pas l’aide d’un dieu en claquant des doigts.

Surtout, ce qui m’a toujours plu dans ce sous-système, c’est qu’ensuite, en cas de miracle, le résultat des dés est défalqué définitivement de la caractéristique Pouvoir, pourtant bien utile en jeu. Ainsi, si, par chance, le joueur a obtenu un 04, son dieu intervient mais sa caractéristique perd 4 points. Un lourd sacrifice mais on a rien sans rien, pas vrai ? Sacrifice ultime d’ailleurs, le cas échéant, puisque si, par extraordinaire, les dés indiquent pile le nombre de points de Pouvoir du personnage, celui-ci les perd donc instantanément et meurt sur le coup. Une belle fin pour un personnage de JdR, non ?

Il s’agissait donc de reprendre cette base qui, pour moi, dispose des critères essentiels à ma propre évaluation d’une bonne règle de JdR :

1. c’est simple (un seul jet, lecture directe, etc.)

2. cela repose sur l’initiative du joueur qui sait quels risques son personnage encourent et peut donc déterminer en toute connaissance de cause s’il prend ou non ce risque.

Donc, dans Babel, les personnages qui s’aventurent dans un monde de livre obtiennent un score d’Autorité exprimé par un chiffre généralement assez élevé, égal ou supérieur à 100. La façon de le déterminer échappe un peu aux limites de cet article mais disons que plus les personnages auront réussi à se mettre dans les pas du véritable Auteur, plus ils seront capables d’usurper son Autorité.

Pour exercer les pouvoirs de l’Auteur au sein du monde de livre et donc pour pouvoir en proposer des « réécritures à la volée », les joueurs auront donc simplement à jeter un D100 (le reste du système utilisant des D10, il suffira donc d’en réunir deux pour l’occasion…) et à ne pas dépasser l’Autorité pour réussir. En revanche, le résultat des dés sera défalqué de l’Autorité à chaque fois, amoindrissant celle-ci de façon tout à fait chaotique (soit très progressivement, soit très brutalement).

Par rapport à sa source d’inspiration, le sous-système est twisté dans le sens où, dans Babel, il est collectif : les personnages partagent le même et unique score d’Autorité. Pour « braquer » un monde de livre, il faut en effet être plusieurs (ta gueule, c’est Bibliophile !) et associer ses talents de Biblionautes pour réussir ce tour de force. Les PJ qui,, donc, entrent ensemble dans un monde de livre partagent une seule et même Autorité. Or, il n’existe aucune règle pour gérer la priorité ou les droits d’usage quant à celui-ci. Il suffit littéralement qu’un Biblionaute gueule le plus fort et décide d’en user pour que ses compagnons ne puissent qu’en constater les effets sur le monde de livre et/ou la chute vertigineuse du score d’Autorité qui, par nature, tend petit à petit vers zéro. ON comprend mieux pourquoi les Biblionautes se regroupent en Cercles afin de développer des relations stables et solides autour d’une vision commune du monde de la Bibliothèque : cela évite les surprises !

La chute du score d’Autorité n’est en effet pas anecdotique puisque, moins celle-ci est élevée et plus le monde de livre comprend qu’il s’est fait flouer et que ces usurpateurs ne sont nullement les Auteurs. Pour un monde de livre, la logique est alors d’essayer d’intégrer ces intrus à sa trame et donc de ne jamais les laisser repartir vers le monde des Réels. Pour le dire autrement, les PJ devront veiller à conserver suffisamment d’Autorité (un tout petit peu suffit, heureusement !) pour refranchir les Portes dans le sens de la sortie. Sinon, ils risquent de devenir pour de bon des personnages de fiction ou, au moins, de conserver de cette expérience traumatisante des effets secondaires à plus ou moins long terme.

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